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La période des reliefs et de l'abstraction en général fut relativement courte dans l’œuvre de Pougny. Elle dura de 1913 à 1916 et se termina en 1919 avec la création de « L’assiette, fixée sur une planche », « une construction suprématiste, portée à la simplification et au laconisme les plus complets », selon les dires de l’artiste. Cet enthousiasme pour l’art abstrait venait du désir de Pougny à créer un art le plus nouveau et le plus radical. De son séjour à Paris, où il vécut et étudia en 1910-1912, Pougny rentra enrichi des dernières tendances artistiques, notamment le fauvisme et le cubisme. Au début de 1914, il était de retour en France, où il participa au 30e Salon des Indépendants et approfondit sa formation artistique. Il est très probable qu'il y ait vu les assemblages tridimensionnels que Picasso réalisait à cette époque. Tatline se rendit également à Paris en mars 1914. Il visita l'atelier de Picasso et devint un fervent adepte des compositions tridimensionnelles abstraits, des « assemblages de matériaux », des reliefs et des contre-reliefs, comme il les appelait. Auparavant Tatline, comme Malevitch et Pougny, avait participé aux activités de l'Union de la jeunesse. À son retour en Russie (automne 1914), Pougny était déjà en train d'organiser (avec Malevitch) la « Première exposition futuriste « Tramway V » », ils y cherchaient à présenter au public les nouveautés artistiques les plus radicales. Les nouvelles tendances « les plus radicales » furent représentées principalement par Malevitch et Tatline, et Pougny dut faire preuve de beaucoup de diplomatie pour garder ces deux maîtres extrêmement égocentriques dans la même exposition. Cela s'avéra particulièrement difficile lors de l'exposition suivante « Dernière exposition futuriste de tableaux « 0.10 » ». Pougny était toujours adepte de l’art synthétique, et ses œuvres, présentées à l'exposition « Tramway V » réunissaient les caractéristiques des assemblages de matériaux de Tatline et des peintures « alogiques » de Malevitch. Des 11 œuvres de Pougny, citées dans le catalogue de l'exposition, les deux sont aujourd'hui conservées au Musée Russe : « Harmonica » (n° 49, peinture avec éléments de sculpture) et « Portrait de la femme de l'artiste » (n° 51, peinture purement cubiste). Les deux autres œuvres de l'exposition « Tramway V » sont également bien connues : ce sont des reliefs, réalisés à partir des matériaux divers : « Joueurs de cartes » (n° 54) et « Nature morte avec marteau » (n° 57). Le tableau « Joueurs de cartes » fit l'objet de plaisanteries des journalistes (cas typique à l’égard des futuristes à l’époque) et sa photo fut reprise plusieurs fois dans les journaux de Saint-Pétersbourg. « Nature morte avec marteau », réalisé à partir de trois feuilles de carton superposées avec un marteau monté au premier plan, réunit l'idée de l’assemblage des matériaux et un ready-made. On ignore si Pougny connaissait Duchamp et ses expériences de l'époque ; si ce n'est pas le cas, ils suivaient la même voie en parallèle. Le relief avec marteau fut reconstruit par Pougny à Berlin en 1921 : sur les photos berlinoises on le voit accroché au mur de son atelier.
Peu après « Tramway V », une « Exposition des tableaux des courants de gauche » fut organisée au Bureau artistique de Nadejda Dobytchina (12 avril - 9 mai 1915), Pougny y présenta une œuvre qui attira l'attention
des journalistes : Le 19 décembre 1915 chez Dobytchina s'ouvrit la « Dernière exposition futuriste de tableaux « 0.10 » qui fut également organisée par Pougny. D'après le catalogue, l’artiste y présenta 23 œuvres, dont onze avaient un titre et étaient apparemment des peintures à huile sur toile, douze autres étaient décrites comme « Sculpture picturale » et « Peinture ». Parmi ces œuvres se trouvaient des pièces qui permirent à Pougny d'affirmer cinq ans plus tard (dans le catalogue de l'exposition à Der Sturm) qu'à l'exposition « 0.10 » « des peintures suprématistes (K. Malevitch) et des sculptures suprématistes (I. Puni, O. Rozanova) furent présentés pour la première fois ». Cependant peu de personnes comprirent et apprécièrent ces sculptures suprématistes lors de l'exposition « 0.10 ». Les journalistes se moquèrent comme d’habitude, et même Matiouchine écrivit à propos d’une œuvre de Pougny dans sa critique de l'exposition : « Sa boule dans la boîte verte est la meilleure de ses œuvres, mais clairement cubiste ». L'œuvre en question est la « Boule blanche » que Xana a reconstruit en 1959-1960 et offert au Musée national d'art moderne de Paris en 1966. On ignore ce que Matiouchine y a trouvé de cubiste : une composition abstraite tricolore est construite avec des figures géométriques simples, un simple tiroir de meuble lui servant de base. À côté du trapèze noir se trouve un trapèze vert avec une tranche de boule blanche fixée. Tout est très simple et en même temps complexe : l'œuvre combine les idées de Tatline (assemblages de matériaux, construction, texture), de Duchamp (ready-made – un tiroir) et de Malevitch (abstraction géométrique, surfaces de couleur monochromes).. « Il s'agissait d'une œuvre véritablement novatrice <...> une rencontre des formes très abstraites avec des objets ordinaires de la vie quotidienne, une sorte d’union de l’abstraction russe et du ready-made de Marcel Duchamp <...> Mais Ivan Pougny, après avoir créé plusieurs chefs-d'œuvre minimalistes de ce type – la « Boule blanche » en fait évidemment partie - a quitté définitivement cette voie » (Шатских А.С. Казимир Малевич и общество Супремус. М.: Три квадрата, 2009., с. 124). La Première exposition libre d'État (1919) à l'ancien Palais d'hiver fut la dernière exposition de Pougny en Russie. Dans son catalogue figurent 18 œuvres de l’artiste, dont sept natures mortes et quatre sans titre. L'une de ces natures mortes est une assiette montée sur une planche. Cette œuvre fut mentionnée dans l'article anonyme « Prazdnik iskusstva» (signé « F .»), publiée dans le journal « Severnaja kommuna » (14 avril 1919, P. 2) : « Le public s'arrête, perplexe, devant les « œuvres » de Pougny. En effet, il est impossible de comprendre quel rapport à l’art puisse avoir l’assiette sur une planche de bois, exposée par le peintre. Ce n’est ni un tableau, ni une image d'une assiette, mais la plus ordinaire des assiettes en porcelaine, fixée à une planche de bois. Et ses autres œuvres « primitifs » du même genre. L'assiette est symbolique, c'est une déduction ad absurdum de toutes ces recherches artistiques qui se sont entièrement consacrées à la forme et qui ont complètement abandonné le contenu. En tout cas, la place pour ces œuvres est dans un laboratoire ou un atelier, mais en aucun cas dans une exposition d'art, où l'on regroupe des œuvres d'art, des réalisations plutôt créatives que techniques. »
Pougny évoquait l’œuvre à l’assiette dans le catalogue de son exposition à Der Sturm :
« Elle a provoqué des cris injustifiés : après tout, cette œuvre était le dernier, l'ultime maillon de la période naturaliste, tant dans sa composition physique (vraiment l’approche la plus probable de la visualité
et de la relativité) que dans sa construction suprématiste, poussée jusqu'à la simplification et le laconisme les plus complets. »
Le catalogue raisonné de Pougny mentionne un total de 16 reliefs, dont deux reliefs perdus (« Joueurs de cartes » et « Tableau vert", qui furent l'objet d'articles de presse au cours de
l'exposition « 0.10 »). En fait tous les reliefs existants sont des reconstructions tardives, dont la plupart furent montées
sous la direction de Xana en 1959-1966 d’après les dessins qui furent exposées en 1921 à la galerie Der Sturm. Le catalogue raisonné nous dit, en termes généraux :
« De 1914 à 1917, il avait fait une trentaine de reliefs picturaux dont nous ne connaissons aujourd'hui qu'une partie. En effet, les désastreux hivers de 1918 et 1919 avaient contraints l'artiste à sacrifier ses
reliefs au chauffage de son atelier. C'est donc grâce à des maquettes et des dessins mémoratifs que Pougny a pu reconstruire après son depart clandestin de Russie, en 1920, la majorité des œuvres énoncées
ci-après. » |